Les jours heureux

 

 

 

 

 

Retour haut de page

Le dimanche au Village (texte Max Teste)

Chez nous, comme ailleurs, le dimanche était le jour réservé à la famille, mais aussi aux loisirs, et les occasions de se rencontrer et de se divertir ne manquaient pas.

La messe avait lieu en fin de matinée dans notre petite église ; ceux du village et ceux des fermes arrivaient tous endimanchés, se saluaient et bavardaient sur la place en attendant le début de l'office. A la sortie, les conversations reprenaient par petits groupes, les enfants gambadaient tout autour et les adolescents, dont c'était le point de rendez-vous, décidaient de leur programme de l'après-midi. Puis peu à peu, on se séparait, les dames se hâtant pour terminer la préparation du repas dominical et les hommes se dirigeant, pour la plupart vers les cafés.

L'église (cliquer sur la photo pour agrandir)

C'était la grande foule, le dimanche chez Pinos. Au comptoir, l'anisette coulait à flot et les soucoupes de kémia se vidaient aussi vite qu'elles arrivaient. Dans la salle, toutes les tables étaient occupées par les joueurs de belote, qui s'interpellaient bruyamment et dont les expressions gratinées n'avaient rien à envier à celles de Pagnol : " belote et re belote, enlève le saroual et viens qu' j'te plotte ! " - " la bourrique elle a tourné le cul ! " - " coeur si t'y en as pas, t'y en meurs ! " , j'en passe et des meilleures.

Le café Pinos sur la place du village (cliquer)

Vers  une heure, les parties terminées, les consommateurs rentraient peu à peu chez eux, quelques-uns traînant encore autour du comptoir pour boire un dernier verre. L'après-midi les activités de loisirs variaient suivant les époques de l'année.

Le jeu de boules avait de nombreux adeptes et le climat leur permettait de s'adonner à leur sport favori en toutes saisons. Le boulodrome était suffisamment grand pour permettre la cohabitation, à l'ombre des pacaniers, des joueurs de pétanque, mais aussi des amateurs de lyonnaise, qui était souvent l'apanage des vétérans chevronnés. Les jours de concours, c'était la grande foule, de nombreux spectateurs venant encourager leurs proches ou leurs favoris.              

La partie de boules (cliquer sur la photo pour agrandir)

Toutes ces rencontres, qu'elles soient organisées ou amicales, finissaient immanquablement au café Quessada, situé presque en face; les perdants payaient l'anisette, les gagnants aussi, et on revivait joyeusement les moments les plus forts des parties.

Pendant la saison, il  y avait les matchs de foot, l'équipe d'Attatba rencontrant celles des villages voisins. Les supporters nombreux venaient encourager nos joueurs, sous l'oeil vigilant des gardes champêtres qui réfrénaient rapidement toute  velléité d'envahissement du terrain ou tout excès d'enthousiasme.

L'équipe d'Attatba (cliquer sur la photo pour agrandir)

Là encore le café Pinos n'était pas loin pour jouer les troisièmes mi-temps, et si à Babaorum, village d'Astérix, toutes les histoires finissaient par un banquet, chez nous, en Algérie, c'est autour d'une Anisette qu'on se réconciliait.

Le Ciné-Club, créé en 1958, fonctionnait avec les moyens du bord, mais était très actif et offrait une fois tous les quinze jours à ses nombreux adhérents des programmes variés et intéressants qui nous ont permis de voir d'excellents films, comme "Topaze", "Il est Minuit docteur Schweitzer" ou "Le Bossu". Messieurs Sales, Cachia, Brakni et Bellini en étaient les principaux animateurs.

Demandez le programme (cliquer sur le bulletin)

Le cinéma ambulant à la salle des fêtes est aussi évoqué dans le chapitre suivant.

Le dimanche après-midi, les adolescents se retrouvaient parfois pour une surprise-partie ou une " boum " organisée chez l'un ou chez l'autre. Le "Tépaze" diffusait les rocks endiablés de Bill Halley, les slows langoureux des Platters, mais aussi les cha-cha-cha et les twists à la mode.                   

La surprise-partie (cliquer pour agrandir)

Le couvre-feu interdisant les prolongations tardives, il nous arrivait de nous enfermer toute la nuit à l'occasion d'un réveillon ou d'un anniversaire. Nous avions organisé une de ces parties dans le magasin de la boulangerie Alberti, qui, une fois le comptoir déplacé, offrait une piste de danse adéquate pour les évolutions des danseurs de rock ou de houlla-hop, dont Roger Kalifa nous fit ce soir là une grande démonstration.

Lorsque nous étions enfants, nous allions parfois pécher dans les oueds vers la route de Blida ; nous y prenions des poissons, mais aussi, souvent, des tortues d'eau ou des anguilles.

La pêche au carrelet du haut du pont du Mazafran (cliquer)

 

Nous allions aussi faire des ballades autour du village, dans la plaine ou vers les hauteurs; il y avait toujours quelque chose à cueillir ou à manger : la "vinaigrette" aux fleurs jaunes dont nous sucions la tige acide, les têtes de ces gros chardons que nous avions baptisés "artichauts sauvages", les racines de réglisse dont nous faisions provision, après les avoir déterrées, nettoyées et séchées, les "crottes bibiche", fruits minuscules noirs et jaunes, les mûres, noires ou blanches, d'une saveur subtile incomparable, que nous récoltions en saison en grimpant le plus haut possible sur les nombreux mûriers des alentours, les caroubes au goût âcre et doucereux à la fois que nous nous contentions de mâchonner et dont les animaux raffolaient, les arbouses récoltées sur les hauteurs, sans oublier les jujubes, les pacanes, les figues de barbarie cueillies tôt le matin où tard le soir, à l'aide d'un long roseau, pour éviter d'être transformé en pelote d'épingles.

Le dimanche était aussi l'occasion de ballades familiales, et les sites aussi agréables que variés ne manquaient pas dans les alentours du village, quelle que soit la saison :

 

- au sud, Chréa, station estivale et station de ski ; les Gorges de la Chiffa  et le Ruisseau des Singes avec son établissement où l'on pouvait se rafraîchir à l'entrée ; Blida la belle ville des roses et des orangers avec ses commerces, ses casernes, ses collèges qui ont vu passer  la plupart d'entre nous, ses spectacles et son "Corso fleuri" une fois l'an.

 

- à l'ouest, le Tombeau de la Chrétienne tout proche sur les hauteurs, Bérard et sa cascade nichée dans les rochers, les ruines de Tipasa, vestiges romains superbes dans un cadre magnifique cher à Camus, le Chenoua et ses plages bordées de lauriers roses et plus loin Cherchell et son Musée.

- au nord-ouest, les ports de Chiffalo et Bou-Haroun où l'on achetait les rougets tout frais à l'arrivée des bateaux ou les oursins que les gosses vendaient pour quelques sous sur le bord de la route, et que l'on allait déguster le soir sur la plage avec du pain et un peu de rosé frais ; Castiglione, la belle station balnéaire avec sa promenade où l'on allait et venait en mangeant des frites ou des créponés , ses "voûtes", en dessous, petits studios donnant sur la plage et loués pour les vacances, son aquarium et sa célèbre fête de l'été ; Zéralda, sa plage des " Sables d'or " et ses guinguettes ; tout à coté, Sidi-Ferruch, lieu symbolique de notre arrivée sur cette terre d'Afrique, avec son vivier où nous dégustions des huîtres, mais surtout des moules dont nous étions si friands, et ses bois, rendez vous familial traditionnel de Pâques, où l'on " mangeait la Mouna " avant d'aller prendre, l'après-midi, le premier bain de l'année, sur une plage toute proche.

- et plus loin, Alger, la grande et belle ville blanche, chère à nos cours, deuxième ville de France, tête de pont de l'Occident en Afrique, Alger de la conquête, Alger des jours heureux, mais aussi Alger des attentats, des Barricades, du putsch et enfin Alger du départ pour l'exil.

 

Retour haut de page

Le cinéma ambulant (texte Max Teste)

 

Comme la plupart des villages, Attatba ne possédait pas de salle de Cinéma permanente et il fallait, lorsqu'on voulait voir un film récent, se rendre à Blida qui en possédait plusieurs; c'est là que nous avons pu voir, entre autres, les premières  grandes productions en Cinémascope : la Tunique, puis les Dix Commandements, Guerre et Paix, etc.

Mais grâce à " Moustic ", nous n'étions pas totalement démunis. C'était le surnom du projectionniste ambulant qui venait, tous les quinze jours, donner une séance dans la Salle des Fêtes du village.

Il apportait son propre matériel de projection et ses bobines et aménageait la salle à sa façon ; il tendait en particulier, tous le long des murs, des couvertures, dont le rôle était certes de masquer les fenêtres, qui laissaient passer trop de jour, mais aussi d'améliorer l'acoustique de la pièce qui n'avait pas été particulièrement étudiée.

Son répertoire était restreint et les films repassaient régulièrement ; notre mémoire d'enfant se souvient de ceux qui nous ont le plus marqués ou  que nous avons peut être revus le plus souvent : Zorro, le Dernier des Fédérés avec Allan Lad, les aventures de Bud Abott et Lou Costello, une pale copie de Laurel et Hardy ou bien encore  la Chose, un des premiers films d'horreur.

Dans la salle, l'ambiance était tout à fait particulière, avec un  public  jeune, Arabes et Européens confondus ;  les premiers faisaient provision avant la séance de bouteilles de gazouz (limonade) ou de Sélecto (une sorte de Coca-Cola de fabrication locale) et de cornets de cacahuètes dont ils sont très friands et qu'ils consomment à toute heure du jour (à preuve la multiplication des points de vente à la sauvette dans les couloirs du métro parisien aujourd'hui).

Monsieur Amar, l'un de nos deux gardes-champêtres, avait la lourde tâche d'y faire régner l'ordre, et il s'en acquittait d'ailleurs fort bien. Vêtu de sa tenue kaki et coiffé de sa chéchia rouge, il était armé d'un long roseau avec lequel il frappait énergiquement sur la tête de ceux qui vivaient trop intensément les aventures projetées, qui évacuaient trop bruyamment les bulles de la gazouz ou qui manifestaient leur mécontentement lors des nombreuses ruptures de pellicule dues à l'état d'usure des films.

Et puis un jour, le Cinéma de Moustic s'arrêta, la salle des fêtes fut  transformée en Gendarmerie, sécurité oblige; c'était la fin des jours heureux ! Un certain nombre d'entre nous, continuèrent cependant à fréquenter ce lieu comme centre de loisirs, en allant y jouer à la belote avec les deux gendarmes de garde ! Mais ceci est une autre histoire !

 

 

Retour haut de page

Les Zalabias (texte Max Teste)

 

Lorsque nous étions enfants, la période du Ramadan, était pour nous l'occasion de faire une cure de Zalabias (prononcez Zlabias), ces gâteaux délicieux, dégoulinants de miel, qui sont particulièrement consommés à ce moment là.

En effet, lorsque l'heure de l'interruption du jeûne est annoncée en fin de journée par le Muezzin du haut de son minaret, ou que le canon tonne dans les grandes agglomérations, les musulmans en état d'hypoglycémie, doivent rapidement manger quelque chose de très sucré qui leur permet d'attendre l'heure du repas familial.

C'est le rôle des zalabias !

Nous allions nous approvisionner chez Ali, le laitier, grand spécialiste de cette pâtisserie. C'est en fin d'après-midi, alors qu'il commençait à préparer sa fabrication du jour, que nous nous retrouvions dans sa boutique. Nous pouvions alors, tout à loisir, regarder faire l'artiste et à l'occasion tourner aussi la baratte de bois dans laquelle il fabriquait son beurre et son " lben " (petit lait), boisson extrêmement diététique dont les Arabes sont friands.  

L'huile bouillonnait dans la volumineuse marmite noire; Ali puisait à l'aide d'une louche la pâte liquide qu'il avait préparée dans un gros récipient et la versait dans son doseur, une simple boite de lait condensé en fer blanc, dont il avait retiré le couvercle et perforé le fond, un de ses doigts faisant fonction de soupape.

Il plaçait sa boite au-dessus de la marmite, et d'un geste précis lui faisait décrire des arabesques en libérant le trou de façon à ce qu'un filet de pâte s'écoule et forme des guirlandes de pâte sur toute la surface de l'huile chaude.

Il les retournait avec son écumoire, dès qu'elles commençaient à blondir et, une fois cuites, les trempait toutes chaudes dans du miel liquide. Il les débitait ensuite, à la demande, suivant la quantité désirée par le client, et les enveloppait dans une feuille de papier journal !

C'est pour éviter cette fin tragique, que nos mères nous recommandaient de nous munir d'une assiette ou d'une feuille de papier blanc dans lesquels les zlabias ne faisaient d'ailleurs qu'un court séjour. Nous pouvions ainsi, avant la grosse cohue, acheter les premiers fabriqués, d'autant plus savoureux que l'huile de friture et le miel étaient encore intacts et les déguster tout chauds, comme le font les vrais amateurs.

 

Origines de la Zalabia

1 - Un campagnard invita ses amis à célébrer le retour du printemps. Or on avait coutume de manger ce jour-là des " Sfendj " (larges beignets), accompagnés de miel. En préparant sa pâte, la maîtresse de maison versa de l'eau en excès la rendant ainsi très liquide.  Il lui vint alors l'idée de la faire passer dans un entonnoir pour la faire tomber dans la poêle, puis de la tremper dans le miel une fois cuite.

Le mot " Zalabia " pourrait dériver de l'Arabe classique. Zalabia est un terme qui se compose de deux mots de la langue arabe à savoir " Zala " et " Bia" . " Zala " signifie  " Bétise " et " Bia "  est un suffixe qui veut dire  " de moi " en résumé c'est " une bétise de moi " .

2 - En cette fin d'année 2001, un ami de Koléa vient de nous écrire, pour nous donner une autre version. La Zlabia est d'origine syrienne. Elle a été importée par les Arabes en Afrique du Nord : Algérie, Tunisie et Maroc. L'histoire dit qu'il y avait un Prince, qui pour fêter les noces de sa fille, avait commandé une multitude de beignets. Une très importante commande nécessite beaucoup de temps pour que la pâte lève. Le Halouadji (fabricant de beignets et autres confiseries orientales), fut vite débordé par le travail à effectuer. La pate ayant dépassé le temps imparti pour être frite, le pauvre ne sachant plus quoi faire, avait à tout hasard rajouté de l'eau pour essayer de la récupérer. Il n'obtint pas de beignets bien sur, mais les premières Zalabia. Le mot Zalabia signifie zarbet bia qui veut dire : j'étais pris par le temps (zarbet= pressé par le temps). Le Prince n'en voulu pas à son pâtissier. Il eu l'idée de faire tremper cette nouvelle patisserie dans du miel pour la relever et c'est pour cela que tout le monde en raffole aujourd'hui.

Notre ami de Koléa nous signale aussi que la zalabia, était très réputée à Koléa aux seizième et dix septième siècles. Surtout grace au miel recueilli dans les forêts entourant Koléa, par des apiculteurs d'origine andalouse, chassés d'Espagne, et venus dans la région à partir de 1492.

Merci à lui.

 

 

Retour haut de page

La Mouna (journal Le Blidéen, 1904)

 

" Le lundi de Pâques, il eut été très difficile de rencontrer âme qui vive dans les rues de Blida, tous les habitants, petits et grands, jeunes et vieux, étant allés comme à l'habitude faire un repas champêtre dans la campagne environnante, ou bien encore partis pour assister aux fêtes d'Alger.

La joie régnait en maîtresse, car le beau temps, dont nous étions privés depuis si longtemps, était enfin revenu et le soleil lui-même avait bien voulu se mettre de la partie.                  

Si la ville était triste et déserte, par contre il n'était pas un coin des environs qui ne fut occupé par une ou plusieurs familles installées sur l'herbe. On en rencontrait partout, sur les hauteurs avoisinantes, sur les routes de Dalmatie, de la Glacière, mais c'est surtout dans la vallée de l'oued-El-Kébir, à la Fontaine de la Fraîche, que les "mouneurs" s'étaient donnés rendez-vous et plus encore à Sid-Madani, au Camp des Chênes. En dehors de l'attrait qu'offrent en cette saison les Gorges de la Chiffa, les trains spéciaux organisés par la Compagnie des O-A, grâce à l'initiative de Monsieur Sauvagey, en rendaient en effet le voyage facile et accessible à toutes les bourses (600 voyageurs).

Quel qu'ait été d'ailleurs le site choisi, la bonne humeur fut la note dominante de ces agapes champêtres. Ce n'était partout que rires sonores et folles chansons, rondes et danses organisées aux sons plus ou moins harmonieux des guitares et des accordéons. Et si le soir, grisées par le grand air et le soleil, autant que par l'excellent vin de l'année, les têtes étaient un peu chaudes, si la gaieté était bruyante, tapageuse même, tout se passa bien, car il n'y eut ni querelles ni rixes à déplorer.

La nuit venue, les mouneurs reprirent à pied, en voiture, en chemin de fer, en automobile même, la route du logis. Après s'être séparés, les groupes rentrèrent chez eux, un peu lassés, mais satisfaits néanmoins de leur journée, en se promettant bien de se réunir à nouveau l'année prochaine, pour manger encore, suivant la vieille coutume algérienne, la traditionnelle mouna, sans laquelle il ne saurait y avoir de bon lundi de Pâques " .

(Extrait du journal : Le Blidéen N°5 du jeudi 07 avril 1904 - Journal républicain, organe des intérêts locaux paraissant le jeudi et le dimanche).

 

 

L'origine de la Mouna

 

On sait que ce gâteau est d'origine oranaise. Les premiers habitants de cette ville, Espagnols pour la plupart, avaient pris l'habitude de se réunir à Pâques, sur la montagne avoisinant le fort Lamoune, pour y manger, sur l'herbe, le traditionnel riz à l'espagnole. Au dessert on dégustait un gâteau auquel le fort a donné son nom.

Certains ajoutent que la forme ronde et large permettait de le ficher sur une longue perche et l'offrir ainsi aux prisonniers que cette citadelle, aux murs élevés, renfermait.                 

Nous vous proposons en annexe la recette du boulanger d'Attatba.

cliquer sur la Mouna

 

Retour haut de page

Le Tchibec (texte Max Teste)

 

Comme dans toute l'Algérie, il y avait à Attatba un certain nombre d'adeptes de la chasse au Tchibec.

Cet animal étrange était extrêmement sauvage, au point qu'il n'avait jamais pu être apprivoisé nulle part ; il ne pouvait non plus vivre en captivité, si bien qu'aucune ménagerie n'en possédait un seul exemplaire. Il présentait de plus une particularité anatomique unique dans le règne animal, celle de posséder deux pattes, dont l'une était plus courte que l'autre, ce qui ne lui permettait de ne marcher à l'aise qu'à flanc de coteau.

Il était enfin doté d'un flair si extraordinaire qu'il reconnaissait l'odeur de tous les autochtones adultes du pays, qu'ils soient Arabes, Kabyles, Juifs ou Européens et ne se laissait donc approcher que par les enfants ou les étrangers, notamment les Métropolitains fraîchement débarqués, qu'il " ne pouvait, en quelque sorte, sentir " !

Les uns et les autres étaient donc sollicités pour participer à des chasses nocturnes lors desquelles ils jouaient un rôle essentiel.

On les installait sur la colline pentue, en leur recommandant surtout de ne pas bouger et d'attendre que l'animal, se précipite de lui-même dans le sac qui leur avait été confié. Les autres chasseurs munis de lampes à carbure ou électriques et de bâtons devaient aller à la rencontre du Tchibec et servir de rabatteurs. Sentant leur odeur, il se retournerait pour fuir dans l'autre sens, mais déséquilibré par son handicap physique, il tomberait immanquablement dans le sac.          

Le stratagème ne prenait pas toujours, mais souvent le chasseur lassé d'attendre rentrait, sous les quolibets et les ricanements des initiés, honteux et confus, jurant, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus !

NDLR - Le Dahu que l'on trouve en France n'est qu'une pâle copie de notre Tchibec.      

 

 

Retour haut de page

Le petit âne (texte Henriette Terrat)

 

Dans un charmant village de la Mitidja, il y avait un petit âne jeune et vaillant.

Il passait tous les matins, faisant la joie des petits partant pour l'école ; il tirait avec énergie sa charrette un peu trop grande pour lui. En passant devant chaque maison, devant chaque magasin, Aïssa déversait les poubelles ; sa charge devenait de plus en plus lourde, mais il était fort notre petit âne, rien ne l'empêchait de trottiner, ni la côte du boulodrome, ni celle de la poste.

L'après-midi, Aïssa le mettait dans le pré derrière la mairie ; il avait de l'herbe fraîche, l'hiver les rayons du soleil le réchauffaient et l'été l'ombre des oliviers le protégeait de la lourde chaleur.

Les années passant, notre petit âne a vieilli et sa lourde charge devenait de plus en plus pénible. Personne ne faisait plus attention à lui, il faisait partie du décor.

Avec le progrès, notre commune s'offrit un beau camion bleu pour le remplacer. Aïssa était si fier d'être au volant qu'il en oublia notre petit âne. Il ne le sortait plus sous les oliviers ; il restait dans l'obscurité de son écurie, ses pattes se déformaient, il avait peine à marcher.

Un matin, il nous quitta dans l'oubli, lui qui avait donné toute sa force et ses années à notre village.

Je me souviens qu'on ne lui avait pas donné de nom, mais moi, en racontant cette histoire à mes petits enfants, je l'ai tout simplement appelé : " Le petit âne d'Attatba " .

 

Le petit âne (cliquer pour agrandir)

 

 

Retour haut de page

L'arracheur de dents (texte Max Teste)

 

Kalfaoui, l'un des épiciers du village, conservait sur son comptoir un objet qui fascinait et impressionnait les gamins : un bocal rempli de dents. Notre homme exerçait en effet une profession secondaire, celle d'arracheur de dents et il conservait là les trophées de ses exploits.          

Etaient entassés pèle-mêle, des chicots de toutes sortes, usés, gâtés, cassés et tous pour la plupart jaunis par le chèma, ce tabac à chiquer que les Arabes consommaient régulièrement en le glissant entre lèvres et gencives. Le plus répandu était vendu dans des boites de métal rondes sous la marque " Dében " (La mouche). Ils crachaient régulièrement de longues giclées de jus noirâtre, dont étaient décorées d'ailleurs les portières de leurs voitures et du taxi du village. Les enfants raffolaient de ces petites boites vides qu'ils utilisaient de multiples façons : marelle, roues, boites à bons points, etc.

Nous avions quelques fois, en passant, la chance, de voir l'artiste à l'ouvre ; le processus opératoire était toujours le même : le " dentiste " se saisissait de sa paire de tenailles noire, le " patient " s'asseyait sur la marche du magasin ou sur le trottoir et la dent douloureuse était arrachée d'un coup sec, sans autre forme d'anesthésie ou d'asepsie. Une poignée de gros sel, enfournée dans la bouche du client, faisait office de cicatrisant et de désinfectant. La dent rejoignait les autres dans le bocal sur le comptoir.

L'homme restait là, crachant son sang dans le caniveau, attendant que l'hémorragie cesse, puis repartait, comme il était venu, la tête enroulée dans son chèche tel un oeuf de Pâques, souffrant comme à son arrivée ; la douleur consécutive aux conditions drastiques de l'extraction avait remplacé celle qui l'avait amené à " consulter " !

 

Un de ses confrères en train d'opérer (cliquer).

Retour haut de page

La territoriale (texte Max Teste)

 

A partir de 1954, l'armée doit accomplir une double tache en Algérie: pourchasser activement et combattre les rebelles sur le terrain, protéger la population contre le terrorisme dans les villes, les villages et les fermes.

La première mission nécessite de plus en plus de militaires au fil des mois, alors que la police et la gendarmerie, dont c'est le rôle, n'ont pas les effectifs suffisants pour assurer efficacement la seconde.

De plus, le gouvernement ne souhaite pas mobiliser davantage de réservistes métropolitains, une telle mesure risquant d'être à la fois coûteuse et impopulaire.

Or, les attentats se multipliant, il faut absolument protéger les populations sur leurs lieux de vie et dans leurs activités quotidiennes.

L'idée du Général Clauzel, qui déjà en 1830 avait eut recours aux Milices Africaines, fut reprise, et c'est ainsi que furent crées en 1955 les Unités Territoriales.

Plusieurs dizaines de milliers de réservistes, Européens et Arabes, dont l'âge allait jusqu'à 48 ans, furent ainsi mobilisés sur place, dans leur quartier ou leur village ; ils formaient des petits groupes de 15 à 30 hommes et effectuaient un service à temps partiel de quelques jours par mois ou quelques heures par jour, selon les cas. Ils recevaient un uniforme sommaire : capote, treillis, ceinturon et calot, qui leur donnait une allure plus débonnaire que martiale et disposaient d'un armement individuel de type Lebel (1886), auquel certains préféraient leur fusil de chasse, jugé plus fiable.

Au cours du "Procès des Barricades", le commandant Sapin-Lignères qui commandait les U.T (Unités Territoriales) d'Alger avait répondu à une question du Président du Tribunal : " le 20ème Bataillon, c'était 30% de Lopez, 30% de Levy, 30% de Mohamed et pour faire la part, 10% de Durand ..." .

Les U.T, furent dissoutes à la suite des "Barricades", quelques mois après qu'une fédération les eut rassemblées sous la responsabilité du commandant Sapin-Lignères.

On imagine quel rôle aurait pu jouer cette force, intermédiaire entre l'armée et la population, dans la suite des événements.

Attatba eut "ses territoriaux", dont la mission fut essentiellement d'assurer la garde du transformateur électrique qui alimentait tout l'Ouest-Mitidja et de patrouiller de nuit dans les rues du village.

Ces astreintes étaient aussi bien sûr des occasions de ripailler dans une ambiance bien de chez nous.

Cliquer sur les médailles pour les agrandir

 Médaille commémorative des opérations de sécurité et de maintien de l'ordre avec barrette Algérie.Depuis la loi instituant "la guerre d'Algérie" elle s'appelle désormais "campagne d'AFN". Le port de cette décoration est permis à tous ceux (appelés, rappelés, territoriaux etc.) qui ont effectué un service minimum de 90 jours en AFN pendant les conflits et jusqu'en juillet 1964 pour l'Algérie.

 

 

Retour haut de page

Poème (de Kléber Ripoll)

 

C'était un bien joli village,

Ce cher village d'Attatba,

Dont je revois la douce image

Près de la route de Blida.

 

Il y avait sur la colline

La belle école où nos enfants

Apprenaient dans la langue fine

Les mots qui rendent triomphant.

 

Il y avait aussi l'église,

Et dans le bas les P.T.T.

On appréciait parfois la brise

Qui nous venait les soirs d'été.

 

Il y avait l'épicerie,

Le bar et le mécanicien,

Sans oublier la mercerie.

Il nous manquait un magicien !

 

Et tout autour étaient les vignes

D'où nous venait le meilleur vin.

Et nous vivions en français dignes

Dans ce pays pour nous divin.

 

Jusqu'à la fin de l'existence

Nous garderons dans notre cour

Le souvenir de cette enfance

Qui fut notre plus grand bonheur.

 

 

 

 

 

Retour haut de page

 

Il était une fois la source Leblanc (article publié par un journaliste de Blida)

 

Il était une fois un coin de terre de la Mitidja qui aurait bien voulu donner de bonnes récoltes mais qui manquait d'eau.

Quand le colon voyait les belles feuilles de sa vigne se recroqueviller de sécheresse, il se désolait. Un soleil splendide mais terrible, dans un ciel immuablement bleu, grillait tout. Alors une petite voix dit au colon : " Creuse la terre et tu trouveras de l'eau en suffisance ". Depuis longtemps la petite voix lui parlait ainsi; jamais elle ne l'avait trompé.

Un jour, le colon fit venir un puisatier et lui demanda de creuser un puits. On choisit un endroit ombragé et la sonde pénétra dans la terre dure. Elle creusa si bien que l'eau jaillit. Après un moment de joie, on déchanta, le débit étant insignifiant.

Il fallait recommencer.

Recommencer, mais où ? La terre est si grande quand il faut choisir une nouvelle place. Le colon cherchait. Devant lui, sur les collines, le grand dôme du Tombeau de la Chrétienne l'attirait. " Viens par là...", semblait-il lui dire. Aller vers le monument c'était se rapprocher de la route.

Alors, le colon fit cent pas et dit : " C'est ici qu'il faut creuser ".

 

A nouveau la sonde creusa, creusa..., mais dans la terre dure, très dure, il n'y avait pas la moindre trace d'humidité. Des cailloux, des roches usaient les outils. La terre se défendait âprement. Le puisatier continuait quand même. Les tubes descendaient de plus en plus bas. Vingt mètres, trente mètres, pas d'eau. Cinquante, soixante, soixante-dix mètres, quatre-vingt mètres, rien, toujours rien, pas la moindre lueur d'espoir.

 

Le puisatier qui n'avait jamais vu cela se refusait à aller plus profond. Le colon le convainquit : "  Notre contrat prévoit bien une profondeur de quatre-vingt-deux mètres ? Pourquoi voulez-vous le diminuer de deux mètres de tubée ? Faites encore descendre la sonde, et si nous ne trouvons rien, alors nous n'irons pas plus loin ".

Lentement, la sonde reprit son travail de termite. Elle creusa, creusa, creusa..., centimètre par centimètre, elle s'enfonça.

D'un seul coup, à quatre-vingt-un mètres, la sonde fut renvoyée brutalement en arrière, précédée par un souffle de gaz ; l'eau jaillit, et quelle eau ! On n'en avait jamais vu de pareille dans toute l'Afrique.

 

La Source Leblanc était née

 

Le colon, Gilbert Leblanc, s'aperçut bien vite que cette eau n'était pas comme les autres; elle attirait les bêtes et les gens. Les vaches de la ferme n'en voulaient pas d'autre ; bientôt, dans le pays, les indigènes vinrent y boire. Comme elle leur faisait du bien, ils crurent qu'un très saint Marabout était enterré là.

L'eau avait des propriétés qu'il fallait déterminer.

De très grands savants, auxquels on en avait fait parvenir des échantillons, ne voulurent pas croire qu'il y avait une telle eau en Algérie. " Vous avez fait venir cette eau de France, c'est de l'eau de Vichy ".

Et ils ne voulurent même pas " perdre leur temps à écouter des gens qui se moquaient d'eux ". Il ne faut pas leur en vouloir, car c'est très souvent vrai ; et les savants n'ont pas de temps à perdre.

Il y avait en ce temps-là un brave homme de géologue qui aimait tellement les pierres qu'il se promenait toute la journée autour d'Alger et, très souvent, très loin d'Alger. Il allait toujours à pied.

Un jour qu'il passait sur la route de Mouzaïaville à Attatba, il vit de l'eau qui coulait d'une source vive qu'il ne connaissait pas.

Comme il aimait aussi toutes les belles choses qui viennent de la terre, il voulut y goûter. Et il s'en fut tout droit chez ses amis, qui étaient à la fois très bons et très savants.       

- " J'ai trouvé dans la plaine quelque chose de nouveau "

- " Vous trouvez toujours quelque chose dans vos promenades, faites-nous vite voir votre nouveau caillou "

Il sortit une petite bouteille, qu'il avait enveloppée dans un journal, pour intriguer ses amis.

- " Qu'avez-vous là ? "

- " Devinez ! "

- " Un bel échantillon de minerai, un beau silex, une hache taillée au temps très lointain de l'âge de pierre, du cristal de roche ?...Vous nous avez déjà rapporté tant de belles choses et de précieux renseignements !... "

- " Vous ne trouvez pas ?... Je rapporte aujourd'hui de l'eau "

- " De l'eau ? Montrez-nous cela "

Et avec des appareils très compliqués, l'eau fut examinée, analysée, mesurée. On trouva enfin qu'elle n'avait rien de commun avec aucune autre eau d'Algérie. On ne pouvait trouver son équivalent en France.

Le bon géologue  voulut alors rencontrer M. Leblanc, mais en vain. Ils mirent trois ans à se rencontrer :

- " Vous avez là une chose bien précieuse, Monsieur, dit-il. "

- " Je le sais bien, mais hélas ! je ne trouve pas un homme assez savant et assez        confiant pour venir l'examiner "       

- " Comme vous vous trompez, cela fait déjà très longtemps  que je vous cherche ; mes amis savent ce que vaut votre eau. Comme il serait bon de l'envoyer un peu partout en Algérie !... Elle ferait tellement de bien à tous ceux qui ont le foie malade " .        

Voilà comment l'idée est venue d'utiliser la Source Leblanc comme on utilise l'eau de Vichy.        

 

Pour terminer mon histoire, il faudrait que je vous dise comment, pendant la dernière guerre, alors que tout manquait, alors qu'il n'y avait pas de machines, très peu de main d'oeuvre, presque pas de bouteilles, alors que les briques, le ciment, la chaux, le bois, les clous même étaient rares, une toute petite usine a été créée. Il a fallu tout le courage des anciens colonisateurs arrivés derrière les Tringlots de la Conquête de l'Algérie, pour réaliser un travail que tous, même les plus proches parents de Gilbert Leblanc, jugeaient inutile.    

 

Mais petit à petit, chacun prit confiance, même les plus sceptiques. Chacun voulut avoir sa part dans l'oeuvre nouvelle, chacun y mit du sien, mais nul ne fit autant que Gilbert Leblanc. Nuit et jour il pensait à sa source, nuit et jour il cherchait, inventait, découvrait et les hommes et les machines.

Grâce à cette ténacité, l'eau parut enfin sur les tables. La Source Leblanc, fille de l'entêtement courageux des hommes, connaît maintenant le chemin des maisons ; elle y apporte le réconfort pour les estomacs fatigués, le soulagement pour les " foies coloniaux "; elle apporte aussi la protection aux jeunes organismes qui sont une proie facile pour la maladie.

Et maintenant, ceux qui n'avaient pas eu confiance, ont, eux aussi, apporté leur savante contribution ; ils ont constaté que la Source Leblanc était une des richesses les plus authentiques du sous-sol algérien.

Aujourd'hui, des machines modernes sont installées, l'usine s'agrandit, elle sera bientôt la preuve que nous pouvons faire ici aussi bien qu'en France.

Les touristes qui passent à Blida auront à cour de parcourir les dix-sept kilomètres qui séparent notre ville de la Source. Ils y verront autre chose que des machines et des ouvriers ; autre chose qu'un embouteillage perfectionné. Ils y verront un des multiples aspects de la colonisation, une manifestation de l'esprit créateur, guidant tous ceux qui, en dehors de la France, font la grandeur de la plus grande France.

Retour haut de page

Retour page d'accueil d'Attatba