La Nostalgérie.

 

 

 

 

 

"Pied-Noir", une appellation incontrôlée

 

Une amie me demandait si, n'étant pas native d'Afrique du Nord, mais se considérant comme des nôtres, pouvait ou non avoir droit à l'appellation Pied-Noir.

Mais d'où vient ce terme ? Cette question a fait couler beaucoup d'encre et a donné lieu à de nombreuses interprétations, sans que le débat soit encore définitivement clos. Je ne résiste pas au plaisir de vous en livrer quelques-unes, des plus connues aux plus fantaisistes.          

- Les Arabes auraient appelé ainsi les soldats français de la Conquête, à cause de la couleur de leurs chaussures.

 - Pour d'autres, ils auraient donné ce nom aux déportés, expédiés en Algérie de 1848 à 1874, qui travaillaient jusqu'à mi-cuisse dans la fange noire de la plaine de la Mitidja, surnommée " le tombeau des Roumis ".

- Les premiers colons auraient été ainsi nommés parce qu'ils écrasaient le raisin avec leurs pieds, travail que ne voulaient pas faire les Arabes, le vin et donc son élaboration étant considérés comme "H'lame" (impur).

- Ce sobriquet aurait été donné dans les ports de la Méditerranée, au temps des steamers, aux Algériens travaillant dans les soutes à charbon.

- Une version proche nous raconte qu'au début du siècle, étaient appelés ainsi les marins d'Afrique du Nord, Européens et Arabes, qui assuraient l'entretien des chaudières dans les cales, travail que les marins français refusaient de faire, les risques d'explosion étant trop grands. Ils préféraient le graissage des canons sur le pont ; c'était les " Bouchons Gras " !

- Le mot aurait été en usage dans l'argot de l'Ecole Militaire de Saint-Cyr et désignait les élèves originaires d'Afrique du Nord.

- Ce serait le nom donné à un oiseau migrateur de Provence.

- Il aurait une origine arabe, Ben Nuwàr, qui signifie Fils des Fleurs!

- On a même découvert qu'un certain J.B Pied-noir, né à Ambriéres dans la Mayenne, avait participé au débarquement de Sidi-Ferruch en 1830 puis était mort de maladie peu après.     

- On sait enfin qu'une célèbre tribu d'Indiens du nord-ouest des Etats Unis porte ce nom.

Qu'elle qu'en soit l'origine, cette appellation réapparut dans les années 55 et fut en particulier utilisée par les journalistes parisiens pour désigner de façon péjorative les Européens d'Algérie.      

Mais paradoxalement, notre communauté la reprit à son compte et s'en enorgueillit. Cela commença en Algérie, mais c'est après notre rapatriement que le terme trouva à nos yeux toutes ses lettres de noblesse, devenant un emblème arboré fièrement en toutes circonstances. " Pied-noir, Pied-noir, notre titre de gloire..." chante Jean-Max Meffret.

Peut être éprouvions-nous le besoin de nous rassembler sous une bannière commune, afin de conserver notre identité, malgré notre dispersion, et ne pas nous diluer dans la masse des Métropolitains que nous appelions les " Patos ".

Il est vrai aussi que nous ne savions plus trop qui nous étions.

Au temps de l'Algérie Heureuse, les Arabes nous appelaient les Roumis (de romains) ou Ensara (de Nazareth), nom donné aux chrétiens par les pirates barbaresques, mais nous nous disions tout simplement algériens. Jean Pomier ne désigna-t-il pas en 1910 le groupe d'écrivains et de poètes auquel il appartenait, du terme d'Algérianistes.

Pendant la guerre nous fûmes des Africains, lorsque " nous venions des colonies, pour défendre le Pays ".

Notre communauté composée d'un mélange de Français, d'Espagnols, de Maltais, d'Italiens, d'Allemands, de Suisses et autres Juifs, était réunie sous le vocable d'Européens, les Arabes et les Berbères en formant une autre, les Musulmans. Les Métropolitains n'étaient pas encore appelés Patos, mais plutôt Francaouis.

Et puis avec les événements, les appellations se radicalisèrent en même temps que les situations. Nous sommes devenus peu à peu des Français d'Algérie et, par élargissement du terme, des colons, ceux qui n'exploitaient pas la terre étant censés exploiter le pays et les Arabes dont ils faisaient, par définition, suer le burnous ; puis des coloniaux, ce mot traduisant encore mieux aux yeux de nos adversaires tout l'aspect rétrograde et féodal de notre présence sur cette terre d'Afrique.

Les derniers temps nous devînmes des activistes qui osaient essayer de lutter contre le vent de l'Histoire et de conserver le pays qui les avait vus naître !

Mais c'est en 1962 que l'on atteignit des sommets !

Les Algériens français n'étaient plus que des Français d'Algérie et ce terme trouva grâce à nos yeux, mais fut rapidement battu en brèche par Pied-Noir, que l'on se mit à arborer comme un étendard pris à l'ennemi.

Le grand Berbère-Français, tel qu'il se définissait lui-même, Augustin Ibazizen proposa le terme de Francalgérien qui correspondait assez bien à ce que nous étions, mais qui n'eut pas de succès, peut-être ne sonnait pas très bien à l'oreille.

L'administration nous qualifia de Rapatriés qui nous fut collé sur le dos, comme une étiquette gluante dont on met du temps à se débarrasser ; il fut officialisé ; un ministère, des services, des dossiers, des prêts en portèrent le nom.

Des tentatives furent faites pour le remplacer et on vit apparaître d'autres mots : Repliés, Déracinés, mais il avait la vie dure et, s'il est aujourd'hui moribond, c'est hélas que du temps a passé.

La page n'est pas tournée pour autant.

N'a-t-on pas vu apparaître récemment, çà et là, des articles ou des sondages qui nous mettaient sur le même plan que les immigrés maghrébins ou africains actuels et n'entend-on pas encore souvent parler certains des " Nostalgiques de l'Algérie Française ", avec dans la bouche tout le dégoût que peuvent leur inspirer ces mots là !

Aujourd'hui la question reste posée : qui sommes-nous ?

- des provinciaux sans province ou des " D.O.M-T.O.M métropolitains ",

- des Algériens virtuels ou de réels Français,

- des Français à part entière ou des Français entièrement à part,

- des rapatriés apatrides ou des patriotes attardés,

- des ex-colonisateurs ou de futurs colonisés,

- des nostalgiques ou des visionnaires,

- des Européens précurseurs ou des Africains rétrogrades.

L'ironie des mots rejoint celle du sort et notre histoire  nous condamne peut-être après tout à perpétuité au  "Mi-figue de Barbarie, mi-raisin de la Colère" ; cette question restera alors posée jusqu'à ce que le dernier d'entre nous disparaisse.

Mais qui sait, un jour peut-être, quelqu'un, se penchant sur les nombreux témoignages que nous aurons heureusement laissés, s'écriera " Voilà qui ils étaient " !

M. T.

 

 

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De l'Algérie à la Nostalgérie

 

Le 26 juin 1962, comme beaucoup d'entre nous à la même époque, je quittais l'Algérie, pour être rapatrié en France. J'avais 20 ans et une valise, car ne voulant pas du cercueil, c'est elle que j'avais choisie.

La Patrie, nous était chère. Nos pères n'avaient pas hésité à partir pour la défendre  à plusieurs reprises, et l'Algérie et les colonies ont payé un lourd tribut en hommes, en particulier lors de la dernière guerre. Nous arborions pour le moindre événement le drapeau tricolore, et nous chantions la Marseillaise ailleurs que sur les stades.

La France, nous ne la connaissions pas, ou très peu, mais nos maîtres avaient su nous faire découvrir et apprécier sa belle langue et sa littérature, sa diversité géographique et sa capitale prestigieuse, son histoire glorieuse et ses grands hommes, rois et empereurs, savants et artistes, écrivains et poètes.

Nous étions Français, mais nous avions notre province en dehors de l'hexagone.  

Un million de gens, qui avaient gardé espoir jusqu'au bout, durent en quelques jours, quitter leur pays, leur village, leur famille et leurs amis, pour se retrouver sur une terre inconnue où personne ne les attendait. Pour eux pas de charters gratuits, pas de comités de soutien d'intellectuels, pas de mobilisation nationale, pas de psychologues, mais seulement quelques bénévoles et quelques organismes caritatifs, qui n'en eurent que plus de mérite.                   

L'accueil des Français fut souvent indifférent, parfois hostile (à Marseille Gaston Deffere ne voulait-il pas les rejeter à la mer ?), et même quelquefois intéressé.

Certains, parmi les plus âgés ou les plus fragiles, ne supportèrent pas cette terrible épreuve et moururent rapidement de chagrin ou par suicide.

Les autres se souvinrent qu'ils étaient fils de pionniers, et relevèrent les manches. Comme leurs ancêtres ils repartirent à zéro à 40, à 50 et même à 60 ans et plus. Ils durent de la même façon mener un combat difficile pour se faire une place au soleil. Leurs ennemis n'étaient plus les marécages, les moustiques ou les Hadjoutes, mais l'administration, les banques et les dossiers.     

Et pendant des années la seule préoccupation fut, pour la plupart, d'assurer leurs besoins primaires de survie : se nourrir, se loger, se regrouper, puis gagner sa  vie, fonder une famille ou préparer sa retraite.

Mais leur Algérie ! L'avaient-ils oubliée ? Avaient-ils tourné la page ?

Notre Algérie n'existait plus, mais nous manquait terriblement ; nous avons alors peu à peu comblé ce vide en créant, chacun au plus profond de nous-même, un abri qui nous permette d'entreposer ce qui nous en restait. On y mit des souvenirs, des images, mais aussi tout ce que nous avions éprouvé au temps de l'Algérie heureuse, lors des événements et au moment de l'exil ; subtil mélange, propre à chacun, de sentiments, allant des plus agréables aux plus violents.     

Et selon les cas cet abri fut un bel écrin de velours ou un véritable dépotoir, un jardin secret ou un champ de mines, un baluchon transporté partout ou un blockhaus imprenable, une salle d'exposition permanente ou une cave inaccessible, un berceau plein d'espoir ou un tombeau.    

Ce drame collectif fut en effet vécu de façon très intime, mais très diverse, allant de la simple nostalgie au mal être permanent. On rencontre dans notre communauté, un nombre infini d'attitudes qui recouvrent tous les degrés de cette échelle, mais qui sont les symptômes d'une même maladie. Les comportements de certains sont même quelques fois caricaturaux, tels : le révolté, le résigné, l'intégré, le renégat, le complexé, le repenti, le sentimental, le revanchard, le militant, l'aigri, le polytraumatisé, l'apatride...

C'est un de nos grands poètes, Marcello Fabri, qui a le premier utilisé le terme de Nostalgérie dans les années 40, alors que, résidant en France à cette époque, il avait la nostalgie de son pays.    

Quel meilleur nom pourrait-on donner à ce sentiment complexe qui habite toujours aujourd'hui chacun d'entre nous, comme une véritable seconde nature.

Consciemment ou non, elle influence notre comportement et a même guidé chaque acte de l'existence des plus atteints. Et que ceux qui ont cru pouvoir la détruire, par dépit, opportunisme, intérêt, reniement ou honte, ne se fassent pas d'illusions, elle sera encore là au crépuscule de leur vie, pour les accompagner vers un nouveau destin.

Parfois endormie, elle se réveille comme une vieille douleur, avec le temps qui passe, ou dans certaines circonstances.

Et il faut dire que les occasions n'ont jamais manqué pour que nos plaies, mal cicatrisées se ravivent.

On a déformé notre histoire, sali nos ancêtres et il ne se passe, encore aujourd'hui, pas de semaine, sans qu'une émission de télévision, un article de presse ou une déclaration d'homme politique ne nous égratigne.

Et pourtant la situation de l'Afrique Noire, de l'Algérie ou de la France montre au contraire que, si l'on n'avait pas interrompu ce que nous avions entrepris, on n'assisterait pas aujourd'hui à cet effroyable chaos ; des gens meurent par milliers d'épidémies, de massacres, de famine, d'autres quittent leur environnement naturel pour se précipiter dans des eldorados saturés qui ne peuvent leur offrir que chômage et précarité, avec tous les risques que cela comporte. Quel gâchis !     

Nous avons perdu l'Algérie, il nous reste la Nostalgérie.

Le proverbe arabe dit : " La plante transplantée se fane, même si ses racines sont dans l'eau ". Cette flamme intérieure nous a peut être sauvés du dépérissement complet.       

Elle nous a aidés à survivre et à rester nous-mêmes.

Le temps a passé, les passions sont peut être moins violentes, mais elles n'en sont que plus profondes. La Nostalgérie nous aiguillonne toujours, même si ses manifestations ont changé de nature.

M. T.

 

 

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La vie en " communauté "

 

On peut difficilement raconter l'histoire d'un village d'Algérie, sans évoquer les rapports entre les différentes communautés.

Comme on a pu le voir tout au long de ce site, les groupes ethniques, Arabes et Kabyles, Européens, Juifs cohabitaient sans problème et se côtoyaient dans tous les aspects de la vie sociale : au travail, dans les rapports commerciaux, à l'école, au cinéma, au café, sur le stade, au conseil municipal, etc. Chacune conservait ses propres coutumes, son mode de vie et ses croyances, sans vouloir les imposer aux autres.

Les écoliers apprenaient certes le Français ( que n'a-t-on pas glosé sur le " Nos ancêtres les Gaulois " ) pour leur permettre d'accéder à la connaissance ; mais beaucoup d'Européens parlaient parfaitement l'Arabe, qu'ils l'aient appris dans la rue ou au lycée.

A Alger, Oran, Constantine, les choses étaient un peu différentes, comme dans toutes les grandes villes du monde, les habitants de même origine se regroupant par quartiers. Dans les villages, nous vivions les uns à côté des autres. Si " les burnous suaient ", les paletots aussi, et tout le monde mangeait à sa fin., les plus démunis étant pris en charge par la commune.

Certes, avec les événements les relations se tendirent d'abord pour se durcir ensuite, les meneurs ayant réussi par la propagande et les attentats à dresser progressivement les communautés l'une contre l'autre. Mais ils ne réussirent pas effacer complètement les 130 ans de vie commune ; s'il n'en fallait qu'une seule preuve, ce pourrait être l'émotion réciproque ressentie lors des retrouvailles, même 20 ans après...

" Cette Haine qui ressemble à l'Amour ", dit Jean Brune. Il faut avoir vécu cette période pour connaître toute la subtilité des relations que nous avions les uns avec les autres et ne pas tomber dans les clichés réducteurs de nos adversaires, repris par la masse de ceux qui ne peuvent pas comprendre.

L'Algérie française fut le laboratoire d'une double expérience humaine très intéressante, mais malheureusement inachevée.

Elle démontra d'une part que des hommes d'origines différentes, mais de même culture, de même religion et de niveau de civilisation égal peuvent facilement et rapidement se mêler par le sang ; en 130 ans, des migrants européens venus de France, d'Espagne, de Malte ou d'ailleurs, ont créé un peuple nouveau. Chacun apporta un peu de ses coutumes, de sa culture et de son savoir faire. Notre accent, notre pataouete, notre cuisine, notre joie de vivre sont des preuves concrètes de ce mélange réussi. Et s'il était encore trop tôt pour que se dessinent les grandes lignes d'un même type physique, la similitude des comportements, des gestes et des expressions est si marquée, qu'un Pied-Noir en reconnaît un autre à sa seule vue.

Mais elle prouva aussi que des hommes de race, de religion et de culture différentes peuvent vivre côte à côte sans vouloir obligatoirement se mélanger. La grande sagesse de la colonisation française fut d'apporter d'abord aux populations locales les conditions essentielles du développement : la technologie, l'instruction, la médecine, la sécurité, sans vouloir les intégrer à tout prix ni les " repeindre en bon Français ".

Elles auraient pu ainsi se développer et accéder peu à peu à la civilisation moderne, dans leur environnement naturel et en harmonie avec leurs croyances et leurs coutumes ; le temps aurait fait ensuite son oeuvre. Une intégration ne peut se réaliser que progressivement, après une longue cohabitation qui permet de se connaître, et donc de se respecter, et en quelque sorte de se mettre en phase. Elle échoue lorsqu'elle se décrète par idéologie et qu'elle se veut immédiate.

Il n'y avait pas chez nous "d'apartheid", ni de domaines réservés en dehors de la religion, de la famille ou des coutumes. Nous vivions ensemble, mais à côté, ce qui n'empêchait ni les rapports, ni les échanges, ni les amitiés.

 

M.T.

 

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