La ferme abandonnée

 

Histoire d'un marais algérien par Edmond et Etienne Sergent de l'Institut Pasteur d'Alger.

 

 

Par un soir doré de mai 1911, sur la route qui longe le bas des pentes des collines sahéliennes, l'auto roulait vers Alger. Sur notre droite, la plaine de la Mitidja étendait son damier ocre et vert jusqu'au rideau bleuâtre de l'Atlas, qui, là-bas, fermait l'horizon du Sud. Nous revenions avec notre Maître, le Docteur E. Roux, du village de Montebello*, où nous lui avons montré notre champ d'expérimentation antipaludique. Depuis huit ans, nous y soumettions à l'épreuve de la pratique les méthodes nouvelles de la lutte contre le paludisme, issues tout récemment des découvertes de A. Laveran et de R. Ross. Le soleil se couchait, et c'était l'heure où l'ombre emplit toutes les routes.

Soudain Monsieur Roux, dont les yeux perçants ne laissent rien échapper : "Qu'est ce donc que cette ferme qui semble abandonnée ? " . Sur le bord de la route, aux abords du hameau de Berbessa*, une maisonnette isolée est là, déserte, contrevents fermés, portes barricadées. Les écuries, le chai et les granges sont clos, la toiture se disjoint, les herbes folles ont envahi les cours, les chemins, le jardin, les champs et les vignes qui n'ont pas été taillées ni labourées. Pas une âme, pas un être vivant. Silence et solitude, à l'heure crépusculaire où la fin des travaux et le retour des troupeaux emplissent d'ordinaire les cours de ferme d'une joyeuse animation.

Nous connaissons l'histoire, que nous tenons du Docteur Danvin, de Coléa*. Nous la contons à notre Maître. Histoire brève et tragique, trop de fois vécue dans notre pays d'Afrique.

Un colon était venu de France avec sa jeune femme. Il avait construit ces bâtiments ; il avait, avec acharnement, défriché la brousse, retourné la terre, planté vigne et fruitiers, semé orge et blé. Un bébé était né. La terre commençait à produire, les salaires faisaient vivre plusieurs familles d'indigènes. L'été dernier le paludisme s'était abattu sur la famille, ruinant les forces et la santé des parents, tuant l'enfant. Le père et la mère, désespérés, s'étaient enfuis, étaient rentrés en France. "

 

 

* Montebello, Berbessa, Coléa

 

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